L'échange des princesses, Chantal Thomas

Publié le par liber-et-vous

 

Le mariage forcé est d'actualité. Il est également le thème du dernier roman de Chantal Thomas, L'échange des princesses, publié au Seuil pour cette rentrée littéraire. Après le très remarqué Adieux à la Reine, l'auteure revient à nouveaux sur l'Histoire, cette fois sur le destin de deux fillettes.

1721. Le Régent Philippe d'Orléans se verrait bien roi. Mais Louis XV approche dangereusement de sa maturité (ou de ses treize ans, autrement dit) et sera bientôt capable d'engendrer une descendance. Une solution s'impose : faisant d'une pierre deux coups, Philippe d'Orléans propose de marier Louis XV à l'infante d'Espagne, Maria Anna Victoria, âgée de seulement quatre ans, afin d'améliorer les relations franco-espagnoles et par là même repousser considérablement la naissance d'un héritier. En échange, il unira sa propre fille, Louise Élisabeth, douze ans, au futur Louis Ier d'Espagne, quatorze ans. L'accord est ainsi passé.

Mais cet échange se heurte rapidement à des difficultés que les adultes n'avaient pas imaginé. Maria Anna Victoria devient française la frontière aussitôt passée et enchante la cour par un esprit vif malgré son jeune âge. L'amour que les français lui portent est parallèle à son sentiment pour son mari Louis XV : sans borne. Un seul mot de lui, une seule phrase, si dictée par la bienséance soit-elle, l'émeut. Mais celui-ci, très vite, répugne à rencontrer l'infante-reine.

Côté espagnol, tout n'est pas rose non plus. Louise Élisabeth est un caractère difficile, voire dérangé. Avec les dames de sa suite, elle laisse libre cours à ses mœurs tordues et semble obéir à ce qu'elle appelle « la voix dans sa tête ». Louis se verra confronté à un refus catégorique de la part de sa jeune femme à consommer son mariage, et mourra vierge après sept mois de règne, à l'âge de dix-sept ans. La mort de Louis d'Espagne coïncide en France avec une phase où Louis XV tombe gravement malade. Pour que le pouvoir ne tombe pas entre les mains de la famille d'Orléans en cas de décès du jeune roi, le Duc décide d'annuler les fiançailles conclues avec l'Infante Marie Anne Victoire et de donner au roi une nouvelle épouse qui enfantera rapidement : ce sera Marie Leszczynska, de sept ans son aînée. Les princesses sont à nouveau échangées, meurtries.

 

Les intrigues royales sont le talent de Chantal Thomas. A travers le destin de deux fillettes qui se trouvèrent reines, l'auteure aiguise notre curiosité sur une phase méconnue de notre Histoire liée à l'Espagne. D'une écriture presque documentaire, elle retranscrit pas à pas ces courtes années et s'introduit dans les mécanismes politiques de l'époque. Ce complot adulte dont les victimes sont les enfants est un témoignage sobre et romancé des alliances et mésententes de la cour, où seuls les intérêts privés comptent. Derrière des prétextes de paix se cachent les désirs du pouvoir, du renom, où l'innocence est sacrifiée sur l'hôtel des jalousies. Chantal Thomas a ce souci du détail historique qui se traduit notamment par la retranscription de lettres inédites conservées à Madrid où se traduisent si bien les intérêts de chacun. Du côté français, on passe sous silence le désamour de Louis XV pour l'infante, les dépeignant comme un couple modèle ; du côté espagnol, seule la chasse importe, jusqu'à ce que les mœurs de la jeune reine deviennent trop incommodantes. Il faut également souligner le talent qu'a eue l'auteure à s'introduire dans la psychologie des enfants, s'adaptant à leur âge, leur rang, voire leurs obsessions, et donnant ainsi à chacun de la présence, du corps. Un léger déséquilibre est toutefois à noter dans la première partie du roman où est consacré plus de temps à Marie Anne Victoire, au détriment de Louise Élisabeth dont on ne révèle pas tout de suite le caractère torturé.

Encore une réussite de la part de l'auteure qui n'en finit pas de nous faire revivre avec talent les petites histoires noyées dans la grande.

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